Un fil à travers le passé
Je m'appelle Chiara Picolo. Ce nom vous est certainement familier, car mon père, Rocco Picolo, s'est fait connaître par ses audacieux vols d'objets d'art. Ceux-ci ont fini par le mener en prison, dont il s''évada avant d'être repris. Finalement, il y mourut. Ma mère était morte peu après ma naissance. J'avais grandi dans une famille d'accueil. Cet héritage était les premières nouvelles que j'avais de lui depuis bien de nombreuses années, et une surprise totale.
Cet héritage ne se composait sue d'une vieille maison tombant en ruines et dominant Twinbrook. Je savais que je ne pourrais pas la garder tant elle avait visiblement besoin d'une réhabilitation dont je n'avais pas les moyens.
En venant à Twinbrook, mon premier rêve était d'en savoir plus sur mes parents, mon second d'ouvrir mon propre salon de styliste. Pour l'instant, je n'en avais pas les moyens, si bien que j'avais trouvé un travail à Twinbrook même en attendant.
En visitant un peu la maison, je tombais sur un portrait de Rocco Picolo dans la force des ans: il avait l'air dur et triste en même temps.
En revanche, d'autres photos montraient que mes parents avaient été un couple heureux.
Je m'endormis, déçue qu'il n'y ait rien dans cette maison montrant que mes parents se soient souvenus de moi, comme une lettre, des papiers, des choses comme cela.
Le lendemain, j'eus la visite de l'inspecteur Castor qui me guida jusqu'au salon, connaissant cette maison maintes fois perquisitionnée. Il me montra un tableau auquel je n'avais jusque là prêté aucune attention et m'expliqua qu'il s'agissait d'une copie de piètre qualité d'une oeuvre probablement dérobée par mon père, "L'océan d'ivresse". La compagnie d'assurance offrait une prime colossale pour la restitution de ce tableau.
Lui-même l'avait longtemps chercher sans le trouver. Rocco lui en avait fait voir de toutes les couleurs pendant sa bien trop longue carrière criminelle. Castor avait demandé plusieurs fois sa mutation afin de ne plus avoir à enquêter sur cet homme insaississable! Une fois il s'était évadé de la prison de Twinbrok en provoquant un incendie, une autre fois il avait provoqué une inondation à l'aide de complices, lesquels lui fournir le bateau avec lequel il disparut dans la nature.
Plein de rancoeur que son ennemi continue à le narguer au-delà de la tombe, il faisait visiblement une affaire personnelle de la découverte de la cachette de l'oeuvre. Mais jusqu'ici, ses tentatives pour la retrouver étaient un fiasco. Je lui certifiais que si je trouvais la moindre information sur le tableau, je ne manquerai pas de lui en faire part, et sur ce il partit.
Cette croûte valait donc des millions? Personnellement, je ne partageais pas l'enthousiasme des critiques pour le métissage des styles baroque et contemporain qu'elle tentait de réaliser.
En matière d'art, j'avais des goûts très classiques, aimant surtout les portraits miniatures d'Abraham Lincoln. Il fallait que je trouve ce tableau avant l'inspecteur. Je fus convaincue que cette maison recelait un code conçu par Rocco qui me permettrai de trouver la cachette et de rester à l'abri du besoin pour toujours.
Je fouillais alors la maison de fond en comble. Mais il n'y avait aucun rouage provoquant l'apparition d'une porte invisible, aucun bouton ouvrant une trappe secrète, aucun faux plafond dissimulant la clef d'un passage souterrain.
Je me demandais ensuite si un élément de l'architecture de cette maison n'indiquait pas l'emplacement de la cachette sur les collines de Twinbrook, mais personne n'y avait fait le moindres changement depuis deux cent ans.
Le code pouvait-il se trouver dans le sujet du tableau? Qu'est ce qu'avait peint l'auteur au juste? Une madone? Je distinguais bien une forme assise, mais la madone est traditionnellement peinte en bleu, et je ne voyais pas le corps du Christ. Et pourquoi ce ciel jaune? On pouvait voir dans cette forme aussi la femme de Loth, se changeant en statue de sel. Mais alors quel rapport avec le titre? La boule verte apparaissait clairement comme une touffe de plantes, mais c'est tout ce que je pouvais affirmer. Je finis par conclure que l'indication de la cachette ne se trouvait probablement pas dans le sujet du tableau.
Tous les soirs, je m'endormais en me demandant qu'est ce qui constituait le code secret de Rocco -si jamais il existait. Cependant, je voyais que mes recherches n'aboutissaient à rien.
J'avais une une vie en dehors de la chasse au trésor. Je travaillais comme styliste, et me faisais de nouveaux amis, et en particulier Christiane, une intarissable pipelette, mais aussi un vrai cordon bleu.
Il devenait urgent de trouver une solution. Je ne pouvais pas entretenir ce tas de ruines avec mon salaire et devais songer à le vendre. N'ayant plus aucune pierre à retourner dans la maison, je passais mes journées à la bibliothèque pour me documenter sur son histoire, et, de fil en aiguille, j'avais lu tous les journaux concernant ma mère, Divina Picolo, qui avait fait la une en tant qu'actrice.
J'appris aussi qu'elle reposait ici, sur les collines de Twinbrook. J'allais donc me recueillir sur sa tombe. Au passage, je regardais si l'ombre de sa pierre tombale n'indiquait pas un lieu particulier. Son épitaphe ne constituait pas non plus une charade qui me guiderait jusqu'à l'objet de mes recherches.
Un jour, j'eus une illumination: le code secret, c'était Divina. Elle constituait le fil d'Ariane qui me conduirait jusqu'au tableau! C'était la seule chose que nous ayons en commun mon père et moi.
Je filais à la bibliothèque car je savais qu'il n'y avait qu'un endroit concentrant les informations sur Divina, et donc c'était le lieu que Rocco m'indiquait en disposant dans toute la maison des photos d'elle.
Je sentais que la solution se logeait ici, toute proche, en la personne de Divina. Cependant, il n'y avait pas le moindre tableau sur les murs de la bibliothèque, ni de placards secrets parmi les rayonnages. Une fois de plus, je fis chou blanc.
Abattue et ayant besoin de compagnie après avoir passé des semaines à sonder mes murs, j'invitais Christiane pour bavarder et pour qu'elle me cuisine son fameux velouté à la courgette.
J'enrageais de me sentir touchant au but et de ne pas y parvenir, et aussi de ne pouvoir en parler à personne. À mes collègues du travail qui me voyaient souvent sombrant dans une profonde rêverie, j'avais dit que je pensais à ma mère, que j'aimerais tellement savoir comment elle vivait. En effet, il me fallait absolument des informations sur sa vie, car il n'y avait qu'en cela que je pouvais trouver la clef du code.
Christiane me parla alors de Monsieur Vaillant, un fan inconditionnel de tous les films de Divina Picolo, maintenant un vieux monsieur. Mais il paraissait qu'il lui vouait toujours un vrai culte et il était intarissable quand on le lançait sur le sujet.
Je lui rendis visite et il fut heureux d'accueillir la fille de la star qu'il adulait. Il avait des tas de photos d'elle partout et même un portrait au fusain qui trônait dans le salon.
Durant plusieurs heures, il me conta mille anecdotes sur sa courte vie de starlette. Ce fut un plaisir d'avoir enfin une description de sa vie et de sa personnalité. Mais visiblement, il ne savait rien de ce qui moi me hantait.
C'est en me levant pour partir que je vis le tableau. La copie exacte du mien, donc une seconde copie! Monsieur Vaillant, voyant ma surprise, m'expliqua que ce tableau constituait un objet personnel que Rocco lui avait permis de prendre après la mort de Divina. Il lui avait dit qu'elle y tenait beaucoup, et donc il le gardait bien que ce ne fut pas un portrait d'elle.
Cette copie était absolument identique au tableau exécrable que j'avais chez moi. Si ma copie représentait sans aucun doute un moyen pour Rocco de narguer l'inspecteur Castor, pourquoi celle-ci? Je tenais enfin quelque chose!
La nuit suivante, je récupérais le tableau dont Monsieur Vaillant ignorait la valeur, ce qui faisait qu'il n'y avait aucun dispositif de protection particulier. Jamais je ne m'étais sentie si proche de mon père.
Comme je m'y attendais, une fois la couche superficielle de peinture ôtée, "L'océan d'ivresse" apparut. Je n'avais plus besoin que d'un antiquaire peu regardant sur la provenance du tableau pour réaliser mon rêve. Je fus pleine de gratitude pour mon père qui avait vu le moyen de me guider à travers ce lien qui nous unissait.
Quelques semaines plus tard, j'avais ouvert mon propre salon de styliste dans une autre ville, loin de Twinbrook. C'est alors que l'inspecteur Castor vint me rendre visite.
Monsieur Vaillant, en pleurs, l'avait averti de la disparition de son tableau. Castor n'avait d'abord pas vu la moindre piste avant que ma visite ne vint dans la conversation. J'avouais tout de suite. Oui, la colossale somme que valait ce tableau m'avait fait perdre l'esprit et fait de moi la voleuse de Monsieur Vaillant. Priant pour que mon geste n'ait pas d'autres suites, je lui indiquais que j'allais lui restituer le tableau.
J'allais le chercher dans une pièce à côté et rapportais la copie que je gardais encore, assurant que Monsieur Vaillant identifierait le tableau qu'il avait toujours eu en sa possession. Je ne manquais pas de complimenter l'inspecteur d'avoir enfin résolu l'affaire de "L'océan d'ivresse". Je ne le revis jamais. Par la suite, je me suis dit parfois que cette seconde copie avait été prévue par mon père spécialement dans l'hypothèse où Castor viendrait me réclamer l'original, mais souvent j'ai pensé que seul le Diable en personne peut être aussi machiavélique.